Pour un engagement militant - Entretien avec Marc Keim

Publié le par Thierry BAHABEGE


Les associations sont de plus en plus considérées par les jeunes comme un moyen pour exprimer leur engagement et non plus comme une finalité. Mais force est de constater que ces acteurs jouent un rôle indéniable dans le processus civique et l’accompagnement des projets de jeunes. Empreintes de pédagogie et de valeurs, les associations s’efforcent d’aider tout jeune qui souhaite concrétiser une démarche militante au service de l’autre. Les Conseils Départementaux de la Jeunesse sont allés à la rencontre de Marc Keim, figure incontournable du mouvement d’éducation populaire en Lorraine, pour évoquer avec lui des modalités d’engagement des jeunes.

Quelle est votre définition de l’engagement ?
L’engagement pour moi, c’est avant tout, sans doute du fait de mon histoire, un engagement que je qualifierai de militant. Le mot « militant » est souvent connoté et il provoque chez certains jeunes une certaine réticence. Pour moi, c’est un terme très noble et je pense qu’un vrai engagement est avant tout au service d’une cause, au service de valeurs humanistes. Cet engagement là dépasse des intérêts économiques ou de pouvoir, même si ces facteurs jouent un rôle dans la motivation à s’engager. L’essence d’un engagement est de défendre des valeurs et d’essayer de les mettre en action dans un projet, au sein d’un groupe.

Y a-t-il une évolution de la place des jeunes dans les instances dirigeantes des associations ?
Au niveau des associations que je côtoie, qui sont essentiellement des associations d’éducation populaire, on peut remarquer que les jeunes ne se battent pas pour occuper des places aux conseils d’administration (CA). Mais ces formes d’engagement sont plutôt caractéristiques de l’époque où l’engagement militant était plus proche d’un engagement politique ou syndical. Aujourd’hui, nous avons à faire à des engagements qui sont davantage centrés sur l’action et l’agir. Or, lorsque l’on invite un jeune à un CA, et ça je le constate dans mon association, il n’est pas intéressé par les questions financières ou les questions de personnel, qui constituent le gros du débat, alors qu’il souhaiterait débattre du projet de l’association. Les jeunes ne viennent plus et préfèrent agir directement sur les actions de l’association.

L’évolution des modes d’engagement des jeunes explique en partie cette « non prise de responsabilités » mais les associations laissent-elles une place suffisante à la jeunesse ?
Je pense très sincèrement que les jeunes souhaitent s’engager pour longtemps dans les associations. Mais les différents évènements qu’ils rencontrent dans leur existence font qu’il y a d’autres intérêts, d’autres priorités qui, du coup, les contraignent à laisser tomber leur engagement dans cette association… parfois pour une autre. D’un autre côté, il est vrai que des gens installés depuis longtemps ne laissent parfois pas leur place, sans doute inconsciemment. Les jeunes se disent alors : « je ne trouve pas forcément ma place dans ces instances là, je ne suis pas accueilli et je ne vois pas trop ce que je fais là ». C’est sans doute une hypothèse qui porte une part de vérité.

De plus en plus de jeunes, qui ne trouvent pas leur place dans les associations existantes, créent leurs propres structures. Ils sont alors de fait confrontés à une logique de concurrence. Cette situation n’est-elle pas dommageable ?
Ce serait effectivement regrettable qu’il y ait des jeunes d’un côté et des adultes de l’autre. Je pense que l’idéal serait que les générations se rencontrent dans les associations. Les associations d’éducation populaire, ont toujours porté ces valeurs. Nous essayons de favoriser l’intergénérationnel mais nous sommes bien obligés de constater, surtout dans les instances dirigeantes, que les jeunes ont relativement peu de places ou sont peu présents. Alors nous essayons de trouver des stratégies mais c’est difficile. Je pense qu’il faut aussi encourager les jeunes à mener leurs propres expériences parce qu’ils ont aussi besoin à un certain moment de se retrouver entre eux ; c’est tout à fait légitime. Est-ce que cela doit aller jusqu’à créer une association à côté des autres, quitte à voir s’installer une concurrence ? Je ne pense pas, il serait préférable de trouver les moyens de pouvoir accueillir tout le monde et de travailler ensemble, tout en laissant les jeunes mener leurs actions spécifiques au sein de l’association.

Les fédérations d’éducation populaire ont parfois montré quelques réticences par rapport au programme Envie d’agir. Comment concevriez-vous, à votre niveau, un dispositif d’accompagnement des projets de jeunes ?
Dans notre logique, il y a toujours eu deux pôles : les valeurs liées à l’épanouissement de la personne d’une part et le collectif d’autre part. Nous essayons de « voyager » entre ces deux pôles là. J’ai l’impression, mais peut être que je me trompe, que les dispositifs comme Envie d’agir valorisent des projets individuels même si certains projets sont au service d’un collectif ou destinés à un groupe. Quelque part, il me semble que l’engagement doit être inscrit dans la société, au service des autres, et c’est vrai que l’appui de la collectivité est souvent représenté par l’association. Bien que ces projets soient intéressants, je regrette que le collectif ne soit pas davantage mis en avant.

Vous semble-t-il alors nécessaire, aujourd’hui, de recentrer l’engagement des jeunes sur des actions collectives ?
Il me semble qu’actuellement, dans une société où l’individualisme est très présent et trop souvent mis en valeur, on a tendance à oublier ces engagements au service d’une collectivité, d’un groupe, et je pense qu’il serait souhaitable de valoriser ces valeurs là.


Propos recueillis par Thierry BAHABEGE & Jean-Luc HUMBERT

Extrait de l'entretien mené avec Marc Keim, Président du CRAJEP de Lorraine
CDJ Mag hors-série "Spécial Journée des Initiatives 2006"
 

Publié dans CDJ Mag

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